walking in the wind. // diego

une voix qui s'élève, un poing qui cogne sur la table. c'est l'signe d'papa et de l'oncle charlie venu tout droit du montana qui s'éternisent à débattre sur la politique, qui s'éternisent à s'égosiller sur des sujets dont tout l'monde se contrefout concrètement. timeo qui soupire. et tu lâches un regard désolé à maman. tu t'redresses.

volatilisé, le gamin.
la veste qui vient s'poser sur tes épaules.
une clope qui s'coince entre tes lèvres.

et te voilà à déambuler dans brooklyn, te voilà à sauter dans un métro. t'as envie d't'évader, timeo, ce soir. t'as envie d'partir ailleurs, t'as envie d'retrouver diego. d'retrouver son air désinvolte, je m'en foutiste, digne des plus grands connards des séries américaines foireuses qu'on peut retrouver sur netflix. pourtant, t'y vas encore, t'y crois encore, timeo. alors t'es là, sous la pluie battante. t'es là à traverse tout new-york, l'coeur au bord des lèvres.

parc'que c'est comme ça, timeo.
on n'maîtrise pas toujours ses sentiments.
on n'maîtrise pas toujours ses pensées.

insolence d'avoir posé tes yeux sur lui dès l'premier jour. diego qui t'évite depuis l'arrestation, depuis l'opération foireuse du cambriolage. opération qui t'a valu d'trembler une nuit durant, gamin effrayé par les conséquences d'une situation qu'il a pas vraiment voulu, gamin mené par la frénésie d'exister, la folie enivrante d'une quête de l'action, d'reconnaissance. d'te sentir valoir quelque chose, d'être autre chose qu'le gamin d'brooklyn, l'gosse d'bourges, timeo. l'gamin adopté, l'gamin qui a eu la chance d'échapper à la dérive pour mieux y foncer, y sauter les pieds joints, dix-sept années plus tard.

mais t'as pas peur, tim.
pas une seconde.

pas même lorsque tu traverses l'bronx, ses rues malsaines. l'bronx qui t'fait pas sourciller pour autant, timeo. l'gamin qui s'sent pousser des ailes, l'gamin qui n's'inquiète de rien sauf de c'qu'il ressent. alors tu traverses l'quartier mal famé d'new york, une capuche qui cache tes boucles sauvages, tes émeraudes à la recherche de ces mains d'artiste, ces traits sauvages. c'regard abyssal, celui qui t'captive. diego, l'voyou. diego, l'mec pas clair. et pourtant si déroutant. alors tu marches, timeo. des questions en tête. pourquoi il est pas revenu, après l'incident ? est-c'qu'il a eu peur ?

p't'être juste qu'il s'est rendu compte qu't'en valais pas la peine.
p't'être juste qu'il a compris.
que t'étais personne. rien qu'un gamin.

pourtant t'es là, timeo, tu n'en démords pas, pas même quand tes prunelles se posent sur une silhouette familière dans la ruelle sombre dans laquelle tu t'engouffres. t'hésites pas. t'as pas peur. tu t'enfonces dans les ténèbres, les yeux fixés sur c'type pas net, c'type qu't'aurais dû laisser tomber depuis longtemps.

et pourtant, vers qui tu peux pas t'empêcher d'revenir, continuellement. d'graviter autour, tels des électrons qui s'rencontrent pour former un atome. si complémentaires, si différents. alors, t'as eu peur ? qu'tu lui lâches d'un coup en t'privant pas d'lui expirer accessoirement la fumée d'ta clope à la tronche.

il suffit d'ça, timeo.
rien que d'ça, pour qu'la lumière s'éteigne, qu'tout n'devienne qu'noirceur.
"restez chez vous, n'sortez surtout pas!"
et merde.

thanksgiving et ses fenêtres éclairées qui laissent entrevoir des morceaux de vie. des éclats de rire sans mélodie dans une atmosphère de bonheur relativement parfait. t’as jamais connu ça, diego. la joie de ces instants magiques qu’on partage en famille. entre êtres chers et importants. tu te souviens vaguement d’une époque chancelante, tiraillé entre jalousie et incompréhension. pourquoi pas moi ? gamin des rues. gamin des regards désolés, parfois dégoutés devant tes jeans troués, tes t-shirts trop grands et ton visage sale. mais t’as eu l’espoir naïf et insouciant qui t’as permis de te relever à chaque coup bas, à chaque ouragan dévastateur de cette vie si injuste et si cruelle. il a grandi. peut-être disparu. ce gosse rêveur et optimiste qui scrutait les étoiles pendant des heures pour s’imaginer ailleurs.

thanksgiving.
ses effusions de sentiments trompeurs et malsains.
t’en as la nausée, diego. la tête qui tourne et la vision brouillée.

c’est un jour normal. affligeant de banalités. un jour que tu connais par coeur pour l’avoir vécu de nombreuses fois. comme une routine incessante qui te colle à la peau. une marque ancrée si profondément que tu pourrais t’en faire saigner l’épiderme sans jamais réussir à t’en débarrasser. il est parti. l’espoir naïf et insouciant. il s’est envolé un beau matin pour laisser place au goût amer d’un chemin que les gens comme toi savent tout tracé. un chemin que l’espoir n’emprunte pas. bien trop vite étouffé par les murmures sombres d’une existence futile où l’on se contente de survivre. quelques sachets vite échangés. des amas de billets verts qui passent de mains en mains avec une dextérité qui n’est offerte que par les années d’expérience. tu touches pas à cette came toi, diego. t’as trop vu les ravages, les virages ratés, les gens qui sombrent. la méth, c’est moche. mais ça te permet de vivre. alors, tant qu’il y aura de la demande, toi tu seras là. c’est que du commerce tout ça, pas du social. puis t’en as rien à foutre des gens. ils font bien ce qu’ils veulent tant qu’ils viennent pas te faire chier avec leurs moeurs et la merde dans laquelle ils se foutent tout seuls.

thanksgiving.
ça doit quand même être salement chouette.

un sac sur le dos, tu passes devant une ribambelle de clochards qui s’entassent sur un trottoir qui pue la pisse. ça te dérange pas. t’as l’habitude. tu te fais agripper par une vendeuse de mst comme tu les appelles pendant qu’un groupe de jeunes branleurs gueule à tue tête les paroles d’un rap grossier. t’as l’écho dans ton crâne qui résonne comme un foutu tambourin. mais tu l’entends à peine malgré le silence de tes pensées. toi, tout ce que tu veux, c’est atteindre cette satanée ruelle à l’abri du vent qui siffle et du froid qui mord. cette impasse sombre où tu te plais à laisser s’exprimer ta créativité sur des murs crades à la lueur faiblarde d’une lampe torche en fin de vie.

t’es à peine arrivé, le temps de sortir tes affaires et coincer un joint au coin de tes lèvres qu’il y a des bruits de pas qui te font tourner la tête. t’es sur tes gardes, diego. parce que c’est pas forcément une idée de génie de trainer ce quartier aussi tard. c’est que timeo qui s’approche. timeo le gosse de riche qui cherche à s’encanailler mais qui finira que par trouver la mort entre deux immeubles qui manquent de s’écrouler. t’as un sourire narquois quand la première et seule chose qu’il te demande c’est si t’as eu peur avant de te souffler la fumée de sa clope en plein visage. alors tu lui rends le geste avec les effluves de weed qui forment un brouillard épais pendant quelques secondes. il a du cran, le gamin. tu peux pas le nier. c’est sûrement pour ça que tu cautionnes autant sa présence. ça et puis aussi pour la facilité que t’as à le glisser entre tes draps. « j’t’avais prévenu qu’si un truc tournait pas rond c’était chacun pour sa gueule. » que tu lui dis simplement avant de choper une bombe de peinture et de lui tourner le dos. « alors, c’était sympa le mitard ? » tu te moques sans t’en cacher.

t’as à peine le temps de tracer quelques lignes que la lumière grésillante des lampadaires au bout de la rue s’éteint complètement. et c’est là que tu le remarques. le ciel menaçant et le vent violent qui vient s’engouffrer dans la ruelle.  « putain, manquait plus que ça. »

thanksgiving. celui-ci qui a tout changé, qui a modifié l'court de ton existence pour toujours. à la découverte de toi-même. ce thanksgiving qui t'redonne espoir, quelque part, qui t'fait sourire autant qu'il t'file un coup au moral. parc'qu'au-delà de tout ça, il y a tellement de personnes avec lesquelles t'aurais souhaité profiter d'cette soirée, d'une soirée au coin du feu, un sourire sincère, les landes illuminées d'bonheur comme lors d'un d'ces matins dorés d'été. pourtant timeo, t'es encore là à errer dans les rues sombres, les rues dégueulasses du bronx. à la recherche de l'interdit, de quelque chose hors d'ta portée. diego. c'est bien au dessus d'tout. cette sensation de quête sans fin. cette sensation de vibrer entre ses bras, malgré qu'ça t'soit pas recommandé.

alec t'aurait probablement engueulé, alec t'aurait probablement dit qu'c'était pas une bonne idée. mais t'es quand même là, tes vans délavées qui frappent l'bitume, qui t'entrainent irrémédiablement vers ce destin, vers cette attirance d'un désir d'aventure, de douleur, d'danger et quelque part, d'un peu d'douceur. parc'qu'il y a pas qu'du mauvais chez diego rivera, t'en es persuadé, gamin. tu t'en persuades. et tu tournes, tu vas, tu virevoltes.

électron libre, timeo.
chacun d'tes pas n'est qu'un jeu, une poursuite du bonheur.
du malheur, d'la chance ou d'son opposé.
tu n'sais pas, plus.

tu t'persuades d'pouvoir un jour faire valser les étoiles, les contempler, les saisir du bout des doigts. t'es autant ignorant qu'rêveur, timeo. et t'as aucune idée d'où ça t'mènera. sans doute qu'un d'ces quatre matins on t'retrouvera comme ces vieux junkies, mort au coin d'une rue sale et trempée d'pisse du bronx, roué de coups. ou pire. qu'importe. la vie est autant douloureuse qu'elle est agréable, la vie peut basculer.

et t'en as conscience, qu'trop conscience.
alors gamin, tu vis ta meilleure vie.
celle faite d'déception, d'joie, d'peine.
t'essaies d'être heureux.

tu sais qu't'approches de ta cible, timeo. t'as appris à l'savoir. la toile à ciel ouvert d'diego. tu l'sais, qu'il exprime son art, ses pensées, sur les murs de cette impasse tout aussi dégueulasse que l'reste de ce quartier. tu sais pas vraiment pourquoi tu t'attardes à venir, encore, toujours, à claquer l'fric de papa et maman dans tes allées et venues nocturnes en métro. diego, il fout l'bordel dans ta tête, dans ton esprit, il t'fait pas résonner d'façon cohérente. une odeur de mariejeanne qui vient te chatouiller les narines, tu t'contenteras toutefois de ta nicotine, d'ton bâton à cancer. parc'que tu l'sais, timeo, qu'ça t'fait dérailler, toutes ces choses-là. tu l'sais, qu'c'est pas bien. chacun pour sa gueule. j't'ai rien d'mandé d'toute manière. qu'tu lâches, la bouffe est pas mauvaise ma foi. tu l'regardes te tourner l'dos, tu t'cales contre un d'ces murs, l'laissant oeuvrer.

c'ma mère qui m'a fait sortir. parc'qu'il l'sait, diego, qu't'as jamais connu ta mère, il l'sait, tout ça. probablement qu'il s'en fout. séléné vasilios. c'est son nom, elle m'a dit qu'elle t'connaissait.

et puis, l'vent.
et puis l'noir. et un soupir. foutu new york.

t’es enfermé dans une symphonie amère. celle des laissés pour compte. des moins que rien. celle de ceux qui partent à la poursuite d’une vie meilleure mais s’essoufflent bien trop vite pour s’en saisir. prisonnier d’un amas de lâcheté qui t’étouffe sous son poids et son odeur malsaine. t’es pas un mauvais type, diego. t’as juste pris conscience que la gentillesse est un fardeau mortel. un poison qui rampe dans les veines tel un serpent diabolique prêt à tout pour lâcher son venin. t’es pas un mauvais type, diego. on t’a juste placé sur le mauvais chemin. celui qui ne mène à rien que des impasses vides de sens.

le ciel nocturne t’écrase. te recouvre de son voile ténébreux si suffocant tandis que tu te noies dans les effluves chimiques de tes aérosols colorés. diego et son monde terne sur lequel il s’acharne à coups de nuances néons sur des murs crades de misère. effusions de teintes joyeuses qui ne seront que trop rapidement délavées par les aléas du temps morose. il fait nuit noire. les étoiles ont déserté la voûte terrestre. pourtant, il y a une lueur solaire. une lueur brûlante qui chatouille ton épiderme dans un sentiment de satisfaction incongru.

timeo est là. son regard incandescent sur ta peau.
et toi, tu peux pas t’empêcher de le jalouser un peu.
lui, tout ce qu’il est et tout ce qu’il représente.

j't'ai rien d'mandé d'toute manière. tu lui tournes le dos. un sourire invisible au coin des lèvres. il a du cran. le courage d’affronter ses peurs et la certitude parfois vaine de pouvoir obtenir tout ce qu’il désire. timeo, il est tout ce que tu n’est pas mais que tu aspires à connaitre. comme un aimant qui t’attires inconsciemment. une force plus puissante que la gravité même. tu l’écoutes sans rien dire. bien trop concentré sur ce paon qui illuminera la ruelle de ses plumes galaxie quand tu auras terminé. sauf qu’il y a ce nom qui sort de sa bouche. ce nom qu’tu connais bien. vasilios. séléné. ton teint se fait soudain blafard. « j’croyais que tu connaissais pas ta mère. » t’essayes de rien laisser paraître. ça pourrait t’valoir des ennuis cette merde. des problèmes que ton attirance mal placée vaut pas le coup d’affronter. « ouais, j’l’ai déjà croisée une ou deux fois. » les mensonges comme une brise nauséabonde. tu lui voues plus de respect qu’à n’importe qui, à séléné. celle qui t’as tendu la main quand tu pensais qu’tout ça servait plus à rien. mais t’as pas besoin de tourner ton cerveau dans tout les sens pour savoir qu’elle hésiterait pas à te casser la gueule si elle savait c’que tu faisais avec son fils. putain, son fils. t’en as les genoux qui tremblent, comme si la terre allait s’ouvrir d’un instant à l’autre pour t’avaler comme l’être insignifiant que tu es.

tu vacilles sous la rafale de vent qui s’engouffre. t’as l’impression que mère nature a senti ta faiblesse. qu’elle n’attendait que ça. diego mentalement déstabilisé qui plie sous le poids du socialement correct. vous pouvez pas rester plantés là, sous la pluie qui commence à tomber et les éclairs qui se mettent à déchirer le ciel. tu peux pas non plus l’emmener, timeo. ni le renvoyer d’où il vient. « on f’rait mieux de bouger chez moi. » voix placide. inconscient qui te hurle que tu devrais pas mais que ce serait pire si tu le faisais pas. putain. t’attrapes tes affaires à la volée avant d’engager le chemin en sens inverse. « t’éloignes pas. j’ai pas l’intention d’me faire buter pour tes beaux yeux. »

tu sais pas trop, diego. si tu le jalouses plus que tu le détestes. timeo. son courage. sa jolie petite famille. ce qu’il représente à tes yeux. tu sais pas trop, diego. si tu l’aimes plus que tu l’abhorres. timeo. la douceur de ses yeux. ses mots parfois tranchants. tout ces moments. ces petits instants insignifiants que vous passez ensemble. parfois, il t’arrive de contempler le néant. les méandres de ta propre existence. sombre et froide. puis y’a ce sourire qui met un peu de chaleur. qui te réchauffe légèrement le coeur. même si tu l’avoueras jamais. parce qu’il est comme ça, timeo. à chercher la moindre lueur d’espoir. ce petit truc auquel il pourrait s’accrocher. même si c’est rien. même si ça veut rien dire pour la plupart des gens. pour ceux comme toi. ceux pour qui l’espoir n’est qu’une invention vicieuse. trompeuse. une invention que la réalité a vite fait de mettre en miettes à la première occasion. t’as eu l’espoir. que les choses seraient simples. timeo, c’était juste un gosse facile à attirer dans ta toile. tu t’attendais pas à tout ça. sa présence si fréquente à chacun de tes pas. ses coups de sang. ses besoins d’affrontement. sa famille. biologique. vasilios. ça tourne en rond dans ton crâne comme une mauvaise mélodie. un truc irritant dont t’arrives pas à te débarrasser. besoin primaire de fuir. de mettre de la distance. « t’as raison, j’m’en branle. c’est ta vie, pas la mienne. » la vérité, diego, c’est que c’est tout le contraire. parce que toi, ta mère s’est tirée sans jamais regarder en arrière. sans jamais se soucier de ce fils qu’elle laissait sous les coups ivres d’un géniteur oppressant. ça te fait serrer les poings. sans que tu t’en rendes compte. tes ongles qui laissent une marque profonde sur ton épiderme. la douleur physique pour cacher la douleur psychologique, plus intense. « ah. » t’hausses vaguement les épaules. tu te retiens, diego. de lui demander ce qu’elle a bien pu lui raconter sur toi. pas pour satisfaire une curiosité mal placée. juste pour savoir à quoi t’attendre. mais tu te retiens, t’as pas envie de faire naitre des questions auxquelles t’as aucune envie de répondre. « peut-être qu’elle pensait à un autre type. j’dois pas être le seul foutu diego dans tout ce putain de new york. »

y’a un moment de flottement entre deux éclairs qui zèbrent le ciel, d’une lumière à s’en brûler les rétines. merci pour l'compliment, les tiens sont pas mal non plus. tu réponds pas. tu prends même pas la peine de faire semblant d’ouvrir la bouche. t’es trop préoccupé par cette satanée bombe qu’il vient de te lâcher. par ces vasilios qui viennent tout compliquer. tu te rends à peine compte que vous êtes déjà devant chez toi. devant cet appart pourri dans lequel tu vivras certainement toute ta vie. « putain. » que tu lâches en entrant, essayant d’allumer une lumière qui n’émet même pas le moindre grésillement. « bien sûr les plombs ont sauté. » soirée de merde. « tu devrais essayer d’joindre ta famille pendant que je cherche d’quoi nous éclairer. » tu prêtes à peine attention à lui. à timeo que t’aurais déjà plaqué contre un mur, tes lèvres collées contre les siennes et tes mains vagabondes, si la situation avait été différente. s’il avait retenu ces foutues paroles qui font bouillonner tes pensées.